Domination masculine dans la recherche scientifique : état des lieux

On pourrait croire à une anomalie statistique, mais la réalité ne se laisse pas réduire à quelques chiffres trop commodes. Les postes à haute responsabilité dans les laboratoires publics restent majoritairement occupés par des hommes, malgré une féminisation progressive des cursus scientifiques depuis plus de vingt ans. En France, moins de 30 % des chercheuses accèdent à la direction de projets de recherche, alors qu’elles représentent près de la moitié des doctorants.

Les comités de sélection affichent une répartition encore inégale, influençant les recrutements et les promotions. Les politiques d’égalité des chances peinent à inverser la tendance, entre stéréotypes persistants et mécanismes institutionnels discrets.

Pourquoi la recherche scientifique reste-t-elle un bastion masculin ?

Réduire la domination masculine dans la recherche scientifique à une affaire de quotas serait passer à côté de l’ossature profonde du problème. Cette division sexuelle du travail façonne durablement l’accès aux carrières scientifiques sur tout le territoire. À Paris, comme ailleurs, les femmes pèsent moins de 35 % au sein de la recherche publique. Les grandes universités et organismes de renom n’échappent pas à cet écart, bien au contraire, il s’y creuse, en particulier dans les domaines les plus prestigieux.

Les rapports sociaux de sexe s’inscrivent dans une histoire longue. L’image du savant masculin continue de marquer l’imaginaire collectif, portée par des réseaux professionnels majoritairement masculins. Le genre, en tant que catégorie d’analyse, permet de décoder une sélection rampante, dès l’entrée dans les laboratoires et tout au long de la progression de carrière. Les mécanismes de cooptation, souvent discrets, maintiennent un plafond de verre sur l’accès des femmes aux responsabilités.

Avant d’aller plus loin, il convient de rappeler les principaux freins rencontrés par les femmes dans la recherche :

  • Les stéréotypes de genre guident les choix d’orientation très tôt, rétrécissant l’accès des femmes à certains domaines scientifiques.
  • La gestion de la vie professionnelle et familiale pèse différemment selon le sexe, avec des répercussions nettes sur la carrière scientifique.
  • L’absence de figures féminines visibles dans les sciences alimente le phénomène année après année.

L’étude des rapports sociaux de sexe dans le monde scientifique met à nu un entre-soi masculin rarement remis en cause, qui décide du recrutement, de la reconnaissance et de l’accès aux postes stratégiques. Le poids de l’héritage institutionnel est lourd : les normes et critères d’excellence se transmettent dans un moule façonné par des générations d’hommes. Changer la donne suppose de revoir en profondeur les modes d’évaluation et les pratiques de gouvernance, chantier encore largement à ouvrir.

Entre héritages historiques et résistances actuelles : comment la domination masculine s’est imposée dans les laboratoires

En France, l’histoire des sciences s’écrit longtemps sans les femmes ou presque, reléguant leurs trajectoires aux marges. Le XXe siècle ne rompt que partiellement avec cette exclusion. Dès la formation, le modèle du chercheur masculin s’impose, consolidé par des concours, jurys et réseaux où la cooptation règne en maître. Les travaux de Christine Delphy ou Maurice Godelier apportent des clés de lecture précieuses : la notion de genre, utilisée comme catégorie d’analyse, permet de comprendre la mécanique institutionnelle de cette domination.

Du côté des études féministes et des études de genre, portées à Paris par des maisons comme Harmattan ou Odile Jacob, on observe que le pouvoir masculin se perpétue sans plan concerté, mais via la routine. Les archives témoignent de recrutements par cooptation et de parcours féminins freinés par des biais tenaces. À l’université, dans les grandes écoles ou à la Bibliothèque nationale, les carrières des femmes s’interrompent plus tôt ou bifurquent vers des secteurs moins valorisés.

Voici comment certaines disciplines et pratiques institutionnelles participent à cette dynamique :

  • La sociologie, l’histoire, la littérature, longtemps considérées comme des terrains « féminins », offrent un accès réduit au pouvoir académique réel.
  • L’analyse des publications chez Payot ou Odile Jacob révèle la faible visibilité des chercheuses dans les collections majeures.

À Paris comme ailleurs, ces résistances s’installent dans la durée. La domination masculine persiste moins par volonté affichée que par force d’inertie, à chaque niveau de la hiérarchie scientifique.

Laboratoire scientifique avec chercheurs au travail et tableau d equations

Vers une science plus inclusive : quelles pistes pour bousculer les rapports de genre ?

La recherche sur le genre devient un levier décisif pour faire bouger les lignes. Les analyses de Christine Riot-Sarcey et Michèle Zaidman ouvrent de nouvelles perspectives, questionnant la place des femmes dans les sciences et la construction même de la notion de genre dans la recherche. Ce concept s’impose peu à peu comme un outil central pour interroger les pratiques, les hiérarchies et les critères de sélection au sein des laboratoires.

Des universités comme Toulouse et Lyon innovent depuis plusieurs années en mettant en place des dispositifs de mentorat et d’accompagnement des carrières féminines. Ces initiatives produisent des effets concrets : augmentation du nombre de candidates aux postes à responsabilité, évolution des jurys, ouverture des comités de lecture à des profils nouveaux. À l’étranger, la Society for Women in Science à New York contribue à accroître la visibilité des femmes scientifiques et favorise les échanges transatlantiques avec les institutions européennes.

Voici quelques pistes concrètes qui participent à l’évolution de la recherche scientifique :

  • Repenser les critères d’évaluation des carrières, en valorisant le travail collectif et en reconnaissant l’apport des réseaux féminins.
  • Mettre en place des formations spécifiques sur les biais liés au genre pour les responsables de laboratoires et les membres de comités scientifiques.
  • Favoriser la présence des femmes à tous les niveaux des instances décisionnelles dans la recherche.

La dynamique enclenchée par les études féministes et les actions locales commence à diffuser dans le paysage scientifique. La division sexuée du travail ne s’efface pas en un jour, mais à force de regards multiples, de critères élargis et de réseaux plus ouverts, le terrain devient moins verrouillé.

Le jour où l’excellence ne sera plus codifiée au masculin, la recherche scientifique gagnera en puissance et en diversité. La scène reste à écrire.

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